Gavaliehnod – l’île aux blasphèmes

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Mon histoire remonte il y a de cela très très longtemps, avant même que Le Grand ne soit couronné roi des Elfes. Situé dans l’archipel des Îles de Corail, ce récit aux touches d’horreur est, j’en fais le serment sur mon humble cœur, aussi véridique qu’est dure la tête du dieu Tarù! Voilà qu’en cet archipel se trouve une île, d’apparence ordinaire et aux attributs communs, du nom de Gavaliehnod, endroit paisible parsemé d’humains, d’elfes et de quelques nains. Dirigée par plusieurs générations de la famille humaine de sang royal, les Barielovens, cette île aux races disparates était synonyme d’un havre paisible ou aiment s’entraider et partager les peuplades. L’éloquent récit que je m’apprête à vous raconter se déroule lors du règne d’Urthef l’Immortel, souverain Barielovens aux vertus aussi pures qu’un diamant des eaux du Fleuve du Lierre. Ce récit est arrivé à mon ancêtre nain, Felorïn Salevz, celui-ci était servant auprès de la famille royale, c’est de lui que nous a été léguer ce conte aux arômes historiques.

Voilà qu’en ces temps, l’air sur l’île était à la fête, la reine Laldaëlle étant sur le point de donner un autre prince à son noble époux, Gavaliehnod partageait donc l’euphorie et la beauté du fruit de leur amour. C’est par un soir de nouvelle lune que Laldaëlle mit bas le quatrième fils d’Urthef, celui-ci alors nommé Hazaldal. L’enfantement terrible aurait duré des heures, tenant en haleine toute la cour du royaume et martelant le cœur de mon ancêtre d’angoisse et de fébrilité. L’enfant vint finalement, beau et divin, tel un rayon de cette nouvelle lune offert aux Barielovens, promettant un prince au cœur aussi vertueux que celui de son père. Toutefois, la beauté de la scène fût vite déchirée sauvagement, le calme fut brisé par l’intrusion d’un humain portant un long manteau noir et un grand chapeau de même couleur. Cet homme avait, semble-t-il, les mains recouvertes de sang et était porteur d’un regard machiavélique, comparable à celui que poserait la mort elle-même. Le semeur de trouble aurait alors foncé sur le nouveau-né et parvint, suite aux violences émises envers les aidants de la reine, à s’en emparer cruellement. Les cris affolés de Laldaëlle se mêlant aux cris d’Urthef, celui-ci en agonie, atteint d’un coup de poignard vicieux à l’abdomen par l’intrus, alertèrent la brigade du palais. Cependant, l’homme de la nuit avait déjà pris fuite dans les ténèbres, laissant le cadavre de l’Immortel devant les yeux d’une Laldaëlle sous le choc. Valets de chambres, gardes et servant, retrouvant parmi ceux-ci Felorïn, se mirent tous en chasse afin d’abattre celui leur ayant pris non seulement leur roi, mais également leur prince nouvellement né.

II

Tous les pères de familles de l’île partirent en battue cette nuit-là, armes et torches en main. Les yeux scrutateurs des elfes eurent heureusement vite le dessus sur le fugitif, le retraçant en à peine quelques instants. Se rallièrent alors les pourchasseurs, l’encerclèrent et lui barrant toute exile. Le meurtrier et voleur d’enfant s’était isolé sur une plage de l’île, au cœur d’étranges récifs aux formes d’épouvante dans cette nuit maudite, ce dernier étant dénudé du haut du corps laissait voir sur lui des runes au caractère inquiétant. L’homme chantait un requiem funeste d’un dialecte inconnu de la conscience des elfes, d’un ton de voix à faire hérisser d’effroi la fourrure d’un loup nordique. Les braves elfes le mirent tous en joue, leur regard fixé sur le point vital de la poitrine de l’obscur cultiste. Celui-ci portait l’enfant du bout des bras, le secouant frénétiquement. Il mit fin à son chant sur quelques dernières sombres notes, puis, une fois l’enfant déposé sur une rocaille improvisant une table, se trancha les veines du poignet gauche d’un geste vif et précis. Son sang gicla, aspergeant le sable froid et l’enfant pris de terreur. Il aurait selon l’histoire, répandu son nectar de vie dans la bouche de l’enfant, le souillant de l’empreinte de son péché. Il n’en fut pas davantage pour qu’une volée de flèches pleuve sur l’hérétique. L’une d’elle semble-t-il, se serait fichée au fond de la gueule de l’homme, le laissant échapper un dernier blasphème avant de le noyer de son propre sang, puis l’effondra de tout son long sur la table et sur l’enfant. On sorti sur le champ le jeune prince, qui, grâce au ciel, ne semblait point blessé. On le lava soigneusement de l’eau des mers et le fît bénir par l’oracle de la seigneurie. Les braves de cette nuit s’en retournèrent tous traumatisés dans leur foyer, réveillant tous les citoyens pour leur faire la funeste annonce du décès de leur roi. Hazaldal, de retour au creux des tendres bras de sa mère, laissa la terreur pour le calme et s’endormit tel un chérubin dans la chaleur maternelle. Alors, les années passèrent et la sérénité revint en Gavaliehnod, maintenant sous la gouverne de Laldaëlle, en attente de la maturité du premier fils Barielovens.

III

Hazaldal grandi en âge et en sagesse, toutefois, on raconte qu’il arrivait qu’on puisse lire, dans l’azuré de son regard juvénile, un sombre voile rappelant celui de l’homme ayant mis fin aux jours de son père. Les rumeurs sur son état d’esprit allaient bon train sur la place publique, cependant, Ilfariol, son plus vieux frère, était bien près d’acquérir maturité, et sa droiture de cœur meublait la plupart des conversations, don d’espoir au peuple de renouer avec les coutumes de leur Urthef disparu.

Vers la treizième année de vie d’Hazaldal, mon ancêtre raconta que ce dernier se mit à se réveiller à toutes les nuits en poussant d’effroyables cris d’épouvantes. Terrorisé de ses cauchemars, il aurait bien vite cessé de parler, préférant se reclure dans sa chambre face aux incompréhensions et rires de ses frères. Ne laissant que sa mère entrer à l’occasion, il se refusait à toute relation humaine et délaissait les copieux repas que lui apportaient les valets de sa famille. Les murmures s’intensifièrent sur la place publique, certains citoyens faisaient même allusion à la nuit maudite que fut celle de sa naissance, insinuant un sombre lien entre ces évènements et le caractère sauvage d’Hazaldal. Vint alors l’anniversaire d’Hazaldal, jour empreint d’une ténébreuse nostalgie et au caractère peu enjôleur pour l’enfant en raison des circonstances de sa naissance. Contrairement à ses habitudes, Hazaldal rôda dans le palais le jour entier, longeant les murs aux illustres vitraux tout en marmonnant quelques plaintes muettes et inquiétantes. Son regard vide et lunatique alourdissait le cœur de sa mère de douleur, impuissante face à son fils aux marginales habitudes. Il ne fit pas présence au banquet en son honneur, s’étant alors enfermé dans sa chambre et ne répondant point aux demandes de la reine. Cette nuit-là, Laldaëlle se réveilla en sursaut, comme si elle présentait un imminent malheur. Elle s’empressa de faire ouvrir la porte barricadée de son dernier-né pour découvrir dans l’affolement qu’il avait disparu.

IV

On alerta aussitôt soldats et gentilshommes pour qu’une fois encore, en cette journée sombre, soit organisée une battue en Gavaliehnod.

Laldaëlle et ses Barielovens restèrent au palais accompagné de mon nain d’ancêtre, tous désireux d’avoir des échos de leur membre manquant. Coulèrent les heures anxiogènes dans cette nuit qui se faisait la plus longue, celle-ci maintenant l’hôte d’une tempête violente inondant les chercheurs d’Hazaldal de pluies diluviennes. C’est alors que le cri d’Ilfariol, l’aîné de la famille et futur roi, déchira le silence. Tous se dirigèrent vers la source de ce hurlement. Ils le découvrirent à ce moment figé dans le corridor, les yeux rivés sur l’un de ses frères étendu de tout son long, gorge tranchée et baignant dans son sang.

Felorïn s’empressa d’isoler Ilfariol et son frère cadet Jaïre avec leur mère, dans la chambre du trône en prenant bien soin de la verrouillée durant sa brève absence. Il s’enquit ensuite d’apporter la dépouille du jeune dauphin laissé au corridor dans l’antichambre de ses propres appartements, afin de le respecter prochainement d’une cérémonie digne de son rang. À son retour aux portes de la salle du trône, il eut l’effroyable surprise de ne pouvoir y accéder, cette dernière ayant été barricadée de l’intérieure. Les cris d’agonie de sa reine et de ses deux fils lui broyèrent le cœur, mon ancêtre n’eut d’autre choix que de quitter le palais pour quérir de l’aide. Après de longues minutes dans la cour où il hurlait au secours, il dit avoir aperçu Hazaldal par les vitraux de sa chambre, debout sur une chaise. Ce dernier, le corps marqué de runes, portait une corde au cou, suspendu à une poutre. Il aurait hurlé moult blasphèmes, tout aussi dément que sinistres, puis sauta, se laissant pendre à sa mort. Felorïn quitta le théâtre de ces abominations pour le village, désespéré de trouver de l’aide.

Les derniers mots du récit de mon ancêtre rapportent que lors de la fouille du palais, seule une corde et une chaise auraient été retrouvées dans la chambre du sombre prince, son corps ayant mystérieusement disparu.

Depuis ce funeste jour, l’on raconte que les soirs de nouvelle lune, on entendrait encore résonner dans les corridors du palais de l’île de Gavaliehnod, de démoniaques blasphèmes et le grincement d’une corde sur une poutre…

Felan Salevz
Second fils d’Erthiom Salevz, onzième descendant de Felorïn Salevz, Servant de la famille Barielovens.

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