La Complainte de la Gargouille

LA GARGOUILLE

~*~

gargouille

COMPLAINTE

I

Ô archanges et âmes du Styx,

Vous qui avez vu de vos yeux

Tant de bêtes dans les cieux!

La Gargouille les éclipse :

C’est un redoutable animal

En qui se vautre le Mal.

II

Ce fut du temps de nos pères,

A qui longtemps il en cuit,

Que la Gargouille sortit

Tout-à-coup de dessous terres,

Jetant l’effroi tous les jours

En Minheld et ses faubourgs.

III

Joyeuse, elle eut pour tanière,

Non loin du mont des Nains,

Un lieu qu’elle rendit malsain,

Dominant la ville entière ;

Et c’est là qu’elle attirait

Les gens qu’elle approfitait.

IV

De cette bête horrifique

Un vieil auteur, trait pour trait,

Nous trace ainsi le portrait,

Tant au moral qu’au physique ;

Pour qu’on ne puisse douter,

Je vais le lui emprunter.

V

On voit mille et mille têtes

Qui sortent de ce grand corps,

Et qui par un seul ressort

Ou bien s’agitent ou s’arrêtent :

Si ce n’était si effrayant,

Ce serait presque divertissant

VI

Monstre horrible, immense, informe,

Il est tout parsemé d’yeux

Louches, tournés vers les cieux,

Et dans chaque gueule énorme

On voit triple rang de dents,

Avec du sang en-dedans.

VII

Ses langues sont de vipère,

De crocodile ses pleurs,

De tigre sont ses fureurs,

Ses caresses de panthère ;

Pour griffes de léopards,

Il a de petits poignards.

VIII

Grand chapeau plat à trois cornes,

Rabat blanc et noir jupon :

On voit dans un médaillon,

Sur sa poitrine difforme,

Un grimoire en abrégé

Où l’on lit « Les dieux soient loués»

IX

Son caractère est perfide,

A la fois lâche et cruel,

On ne voit rien sous le ciel

Qui se montre aussi avide,

Mangeant hors de ses repas,

Prenant et ne rendant pas.

X

De chair fraîche elle est friande,

Et surtout de sang royal,

C’est pour elle un vrai régal,

Tant sa barbarie est grande ;

Dans le crime elle jouit,

Et lorsqu’elle tue elle en rit.

XI

Même, disent les chroniques,

Ce monstre, enfant du malin,

Griffonnait sur du vélin,

En caractères gothiques,

Des livres dignes du feu,

Pour attraper tous les dieux

XII

On y voyait comment faire

Pour pouvoir, en tout honneur,

Être menteur et voleur,

Parricide et adultère,

Porc, débauché,

Et qui plus est sans péché

XIII

Dans sa fureur inhumaine,

Pour recréer ses regards,

Partout de membres épars

Couvrant la ville et la plaine,

Homme, femme, enfant, barbon,

Pour elle tout semblait bon.

XIV

On voyait croître sa rage

A l’aspect brillant de l’or ;

Il semblait que d’un trésor

Elle convoitât l’usage,

Pour, au gré de ses désirs,

Payer ses menus plaisirs.

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XV

On eût dit qu’à la tendresse

Le monstre avait du penchant,

Parfois d’un geste touchant

Leur prodiguant la caresse,

Il savait obnubiler de séduction

Les jolis petits garçons.

XVI

Croirait-on qu’un cœur farouche

Pour le sexe eût de l’amour ?

Faisant patte de velours

Et même petite bouche,

Le monstre avec la beauté

Lâchait l’impudicité.

XVII

Ainsi cumulant les vices,

Les honneurs et les forfaits,

A tous trouvant des attraits

Et même des bénéfices ;

Traître, galant, tour à tour,

Il semblait fait pour la cour.

XVIII

Que de chasseurs intrépides

S’écriaient dans leur courroux :

«Sous mes redoutables coups

»Tombera ce monstre avide !»

Tous à l’envi l’ont chassé,

Pas un ne l’a terrassé.

XIX

En défaut mettant sans cesse

Des limiers jusqu’aux bassets,

Des briquets aux chiens barbets,

A force de tours d’adresse ;

Elle n’avait, il paraît,

De peur que des chiens d’arrêt.

XX

Un chasseur de Grise-Pierre,

Un rôdeur de Tamaneh,

De Duaure un paraclet,

D’Iodar un kieran quitta le désert,

Un grand thaumaturge azurien,

La chassèrent tous en vain.

XXI

De tant de coups redoutables

Il a su tromper l’effort :

Quelquefois faisant le mort,

Par une ruse coupable,

Et quelquefois d’un agneau

Prenant au besoin la peau.

XXII

Même on vit ce monstre infâme

Sur la terre au long couché,

En mille morceaux hachés,

Comme s’il eût rendu l’âme :

On n’eut pas le dos tourné

Qu’il était raccommodé.

XXIII

Enfin, ô bonheur extrême !

Par la céleste vertu

Le monstre fut abattu ;

Il fit son paquet quand même,

Et périt pour ses méfaits

Dans la grand’cour du Palais.

XXIV

Or un bruit s’est fait entendre,

C’est qu’on l’a cru mort : mais nix !

Ni plus ni moins qu’un phénix,

On dit qu’il sort de sa cendre,

Ou, de même qu’un bouchon,

Qu’il n’a fait que le plongeon.

XXV

Mais on veut nous faire accroire

Que le monstre est bon enfant

Un vrai mouton maintenant,

Et de petites avaloires :

On nous trompe assurément,

Je vous le dis franchetement.

XXVI

La bête encore cherche à mordre.

Mais quoi, les plus grands chasseurs

Sont, dit-on, ses serviteurs :

Leur Bel art est à ses ordres,

A tel point qu’il voudrait bien

Pouvoir dérouter les chiens.

XXVII

Des traîtres et des gens ivres

Lui graissent la patte en vain,

Lui donnant un pot de vin

Pour en avoir de bons livres

A l’usage du Dauphin…

Mais ils se pendront au chagrin.

XVIII

Pour le sûr, c’est la vengeance

Du ciel armé contre nous ;

La bête vient en courroux,

Pour nous mettre en pénitence :

C’est sans doute un grand malheur

Que Razel fut auteur. (x3)

XXIX

En attendant ce miracle,

O peuples de Merved, bonnes gens !

Femmes et petits enfants,

Fermez bien votre habitacle :

Du monstre craignez les coups,

Et restez chacun chez vous.

XXX

Il fera force gambades,

Sauts de carpe et du tonneau,

Sauts d’anguille et du cerceau,

Le tout avec pétarades :

Il faut vous en défier,

C’est pour vous allicier.

XXXI

Oui, si par ses tours infâmes

Il vient à vous attirer,

Vous le verrez dévorer

Et vos enfants et vos femmes :

Laissez ce monstre d’enfer

Exhaler sa rage en l’air.

XXXII

O vous par qui tout s’embrouille !

De qui tant de maux sont nés,

Diables, démons incarnés,

O pères de la GARGOUILLE !

Rappelez le monstre à vous,

De ses griffes sauvez-nous.

~*~

Fualdès de Valdorivalice

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