Les premiers pétales de la Rose de Sang

I

Mon nom est Loubos Theldrea et voici mon histoire. Je suis de Minheld, de ceux qui n’ont pas eu l’auguste chance d’être né au-delà de la colline, c’est-à-dire d’être du rang des familles nanties et hautaines de notre patrie. Ma mère, Belagnès, travailla toute son humble vie comme blanchisseuse dans les buanderies du palais Emilix, demeure de notre reine Ausgarde Fanidolfalon et castel encastré dans les entrailles du mont Elab, hôte des mines naines d’Olorïn.

Mon paternel, Danaclay Theldrea, était un homme natif de Ruzad, empire rival de Minheld. Il travailla longtemps à titre d’écuyer rose-de-sangpour les Werwyms, soignant les nobles montures des pantins de la reine, leur donnant une nourriture plus propre que celle que ma mère et lui parvenait à mettre sur notre table. Dans ses vieux jours, il eut la promotion d’enseigner le tir à l’arc aux jeune de l’académie des Werwyms, ayant prouvé son talent en emportant le tournois de la Cible Volante quatre années consécutives. Pour ma part, je grandis dans les ruelles de la Basse-ville, ayant comme ami et seul allié Frei Oloen, lui aussi enfant des Pavés de Poussières. Je grandis avec une rancœur omniprésente en mes veines, car d’aussi loin que je me souvienne, les familles de nos quartiers furent toujours victimes d’injustices flagrantes de la part de notre reine, elle, l’avide et précieuse au cœur autolâtre. Il arrivait que mon père me raconte des légendes de Ruzad, toujours empreinte d’intrigues et où les héros, des roublards disciples de Mask, l’emportait toujours en se riant des nobles et de leur bonheur empreint d’artifices. J’ai nourri le rêve depuis ma tendre enfance d’être moi aussi, un jour, un de ces héros à l’esprit fin, un de ces filou qui rendrait aux ploutocrates la monnaie de leur pièce. Frei et moi s’improvisions des costumes, des armes et des plans pour des pilles amateurs, créant inconsciemment le chemin de nos jours prochains, alimentant le feu de nos désirs larcins.

II

Le temps passa et me pris mon père, alors que j’avais 18 ans. M’étant depuis peu rapproché de lui tandis qu’il m’enseignait la mire et l’archerie, il nous quitta en succombant à ses maux, atteint des affections que seuls la peuplade des Pavés de Poussières attrapaient, autre déloyauté de notre statut. L’heure n’était plus aux vulgaires vols de breloques des riches étourdis par Frei et moi, le salaire de mon père en moins, je devais rapporter plus, sinon ma vieille mère se tuerait à multiplier le temps supplémentaire au palais. Je quittai pour Ruzad pendant deux années, faisant parvenir l’argent amassé à ma mère par l’intermède de mon oncle, celui-ci voyageant souvent jusqu’en Minheld. J’avais trouvé asile dans un cabaret nommé ‘’ Le treizième coup’’, là ou je servais les chopes au public venant assister aux prestations théâtrales se déroulant sur la scène du bistrot. On y jouait du burlesque, de la comedia dell’arte et des farces toutes excellentes les unes que les autres. J’étais stupéfait par le monde des arts dramatiques, et particulièrement par la grâce avec laquelle jouait un certain barde du nom de Dhyluiel Gamacha. Alors que je m’affairais, en fin de soirée, à ramasser les chopes vides des spectateurs conquis, Dhyluiel s’adressa à moi et m’invita à passer les auditions pour la prochaine comédie que sa troupe montait. Ce que je fis avec grand honneur et comme la vie arrime biens les rencontres, j’obtins la réplique de Dhyluiel et devint vite son complice. Il m’appris que la majorité des spectateurs étaient en fait de ses amis, des roublards tout comme lui qui étaient devenus avec le temps, maître de l’art de Mask. Il m’apprit à penser en stratège, à jouer la comédie et le drame dignement, à entraîner mon corps au saut, à l’acrobatie et à la subtilité afin de peaufiner mes talents de voyou. Deux années de discipline, de vols hauts-en-couleurs, de théâtre audacieux et d’amitié sincère.

Puis, Dhyluiel m’annonça que la troupe se lançait en tournée avec la nouvelle comédie qu’il venait d’écrire, m’invitant à les suivre dans leur périple à travers les bourgs. Toutefois, ma mère et Frei hantait mes pensées, je déclinai à contrecœur l’offre et lui fit mes adieux, quittant Ruzad pour retrouver ma terre natale, les Pavés de Poussières où j’avais grandi. Je renouai rapidement avec Frei, lui racontant de long en large mes enseignements, mes vols, mes pièces et mes réussites. Lui aussi s’était entraîné durant mon absence, il avait acquis un talent certain au vol à la tire et s’était confectionner des outils pour crocheter n’importe quelle serrure. Une année passa, ou nous formions un duo de voleurs impeccables, développant adresse et complicité de nuit en nuit.

III

L’équinoxe de printemps à nos portes, Frei et moi avions décidé de faire le grand coup. Puisque la récente annonce de la reine de célébrer la saison nouvelle par un banquet grandiose, invitant tous les couronnes des environs à venir assister à un bal luxueux nous avait rallumé les feux de rancœurs de notre enfance, banquet qui se voulait l’apogée à l’injustice qui régnait en Minheld depuis un nombre incalculable de lunes, puisque tout cet or investi en une soirée mondaine ne serait pas réparti tel qu’à l’habitude aux pauvres de la Basse-Ville. Le plan était le suivant : ma mère nous fournirait des costumes de valets qu’elle prendrait de la buanderie, Frei et moi serions présents au banquet en tant qu’infiltrés afin de dérober à toutes ces crapules corrompues la prunelle de leurs bourses.act_of_war_by_pe_travers-d3bp3pi

Alors que les carrioles et pompeuses voitures sillonnait les routes du haut de la colline, Frei et moi étions déjà bien confortablement installé dans les cuisines du palais à saboter la gastronomie des invités. Le bal pris son envoie par le discours terne et sans éclat d’Ausgarde l’Avarde, puis, plongés de symphonies de violon et des lueurs de chandeliers flavescents, les seigneurs et barons présents n’eurent nullement conscience de tout l’or qui fût vider de leur effets durant le premier service. Au dessert, tandis que Frei crochetait les portes de la cave, l’antre des cadeaux amenés par les invités, je parvins à me glisser dans les quartiers de la reine, sous le regard des abrutis de Werwyms. Puis, tout juste à la suite de l’annonce de la première danse, moi, Loubos Theldrea, farceur aux mains agiles, la voix même des Pavés de Poussières, couru de la balustrade et dans un coup de théâtre, sauta agilement pour atteindre le lustre surplombant la salle de bal, attirant tous les regards et coupant l’inspiration aux musiciens. Haut et fort, mon monologue fût le suivant :

« Gentes dames et gentilshommes, mes seigneurs et fins économes! Je suis Loubos Theldrea, vous ne me reconnaissez guère car vous ne me connaissez pas! Je suis de ceux qui n’ont pas eu l’auguste chance d’être né au-delà de la colline, d’êtres des invités à l’Emilix en ce bal du favoritisme! Alors que vos panses bien gavées, digère les copieux repas dans lesquels j’ai si grossièrement craché, sachez que nous avons pris la peine de vous séduire et de vous dévaliser. Nous remercions grandement Ausgarde la reine de l’Avarice, elle qui si bêtement dans cette mascarade s’est fait la première actrice, de ce grandiose cambriolage de vous, souverains environnants! Sachez qu’en ce printemps nouveau qui s’offre à nous, jamais plus ceux des Poussières ne traîneront dans votre boue, que par la justice de nos cœurs et de nos proses, paillerons les riches de la lame de la Rose! Oui! La Rose de Sang! Nous, vandales et terroristes de vos lendemains, jurons que dès la fin de ce bal funeste, les riches mangerons dans nos mains!’’

Puis je fis balancer le lustre violemment, plongeai d’une vrille et fracassai un vitrail, m’échappant ainsi en un sortie triomphante, laissant s’écraser derrière-moi le lustre aux scintillements de notre vengeance. Frei me rejoignit dehors, tout sourire. La Rose de Sang était née, la vengeance des pauvres était lancée. Mon nom est Loubos Theldrea et ceci est mon histoire.

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