Dérive en Ombre-Terre

Ce lugubre événement survint lors de mes débuts en tant que sorcier, alors que j’en étais encore à mes premiers pas en matière de dématérialisation et de voyage inter-planaire. Insouciant et audacieux, j’entrepris en ces temps de tenter de me rendre au Premier Enfer par la voie de l’éther. Cependant, novice et négligeant, j’omis l’inscription de runes majeurs et d’impériales incantations à mon rituel, faisant ainsi en sorte que je perde tout contrôle de mon périple, ignorant le plan et le lieu dans lequel mon corps reprendrait forme.

matronneMatronne en Ombre TerreTout débuta par des implosions de maelstroms lumineux prenant une trombe violente, me malmenant en des dédales inconnus et me déstabilisant en de vives turbulences. Telle la toile d’un artiste a la verve fougueuse, mon plan astral se liquéfia en aspergeant le néant qui m’engloutissait de teintes disparates. Le mariage des couleurs fantomatiques trouva solde en une épaisse obscurité, m’épousant de ténèbres vaporeuses.

La noirceur des entrailles inhumées engloutis ma respiration, il me sembla alors que mon voyage avait trouvé finalité en Ombre-Terre, celle-ci ne m’offrant aucune hospitalité. L’elfique de mes prunelles parvint à distinguer les formes sinueuses d’une rocaille meurtrière, offrant aux imprudents une scarification certaine. Des chants drows d’un chœur de matrones s’élevait de par les profondeurs d’un souterrain au simulacre de purgatoire. M’y rendant de pas lents et braves, moi, voyageur de l’astral, devint témoin d’une séance occulte à lever le cœur; sept matrones trônaient en cercle autour d’un tabernacle taillée à l’effigie d’un imposant scorpion d’obsidienne.

Se trouvait inconscient, ligoté et muselé sur cette table un elfe au derme indigo et à la chevelure blonde. Sa carrure imposante et les traits crispés et meurtris de son visage tiraient davantage de l’elfe sylvain que de l’elfe noir, je compris alors qu’il s’agissait bien de Razel le Grand, vulgairement bâillonné et victime de la tyrannie typique des drows.

Au chant des matrones se joint un sifflement strident, rappelant à mes oreilles de vieil elfe les arcanes de mon défunt maître Eztelian, du temps où il m’enseigna l’art de soumettre un démon. La vibration sonore s’amplifia, circulant d’une matrone à l’autre et dont l’écho montait en un crescendo glauque. Leurs bras aux doigts effilés se levèrent, ces dernières jubilant d’une force malsaine et invisible, elles gueulèrent en cœur un blasphème ultime; ceci anima soudainement le tabernacle d’obsidienne. L’énorme scorpion s’agita puis, dressant sa futaille chargée de toxines, il fouetta de son dard le plexus de Razel, l’écorchant profondément. L’extase des matrones me fit frissonner, moi qui, les yeux grands ouverts, put voir bleuir l’épiderme de l’elfe en chaines en un rien de temps. Non seulement la torture était totale, mais on faisait de l’ancien roi des Elfes une créature souillée jusqu’en ses veines. Agitant une dernière fois son dard, l’androctone frappa violement le sol puis figea, reprenant la froideur originelle de l’obsidienne. Les craquements et cisaillements que causa le fracas de la créature firent trembler les parois rocheuses. S’éventra ensuite le sol sous les pieds des matrones, dessinant un trajet clairement visible sur une carte gravée par les entailles crevassées.

S’écriant en drow, une matrone sembla jouir. Tout portait à croire qu’elles avaient non seulement obtenus de Lloth la faveur d’une plus grande corruption de Razel, mais voilà que se traçait devant elles la marche à suivre pour étendre leurs obscurs desseins.

Je devais faire vite, sinon ma place de choix en tant que spectateur se ferait bien vite malédiction d’un elfe trop curieux. Farfouillant ma poche, ma bague tinta sur l’émail du coquillage enchanté que m’avait légué Eztelian avant son départ. Ne sachant toujours pas ce que ce dernier pouvait m’offrir ni de quelle magie il était animé, je n’eusse d’autre choix que de tenter quelque chose pour décamper avant que ne me positionne l’une des matrones en extase.

Concentrant tous les courants des forces magiques de mon être sur la porcelaine marine, je psalmodiai quelque vers qu’entonnait souvent mon maître. Une grande chaleur s’éprit de mon thorax. Mon obscur panorama souterrain mouva, tel un océan translucide atteint par une larme, créant une onde subtile et infinie. Je m’élevai doucement et me senti dériver dans l’invisible, confiant cette fois que je trouverais pied en lieu sûr. Des échos lointains valsèrent à mes tympans elfiques, se clarifiant peu à peu, comme si je m’approchai en lévitant à des sonorités enchanteresses. Les paupières clauses, je me laissai faire tel l’enfant par sa mère, naviguant les fleuves de l’éther. Lorsque j’ouvris les yeux, j’étais étendu dans la paille d’une grange rustique situé non loin de Tamaneh. Jamais plus depuis je n’osai m’aventurer en des rites improvisés, la rencontre de ces matrones et de Razel eurent non seulement chez moi l’effet de me terroriser du peuple drow, mais m’insufflèrent de concert une sagesse qui depuis grandi encore en moi.

Croyez-moi, mieux vaut rester loin d’Ombre-Terre.

Loej Iwëm

Michaël Fontaine

Scénario, Panthéon & Système de Magie